Spiritualité en péril : éthique ou arnaque ?

De Eva Wissenz, 27. janvier 2020

 

Je partage ici dans un format audio mon histoire d’abus en milieu spirituel. Arriver à partager cette histoire est une étape importante et c’est aussi venu avec ce texte dont la lecture pourra, je l’espère, servir à quelques personnes.

Je vais parler d’abus. L’abus prend différentes formes, différentes intensités. Je parle ici de l’abus de confiance maquillé sous couvert de spiritualité. 

Du calme, il en faut lorsqu’on prend conscience de l’abus et l’abus est assez fréquent dans le milieu spirituel. La différence avec un abus de confiance professionnel ou autre, c’est que les tenants de la spiritualité se présentent comme des personnes ayant fait un certain travail, en lien avec quelque chose de vrai. 

En France, en dehors de la religion catholique implantée depuis des lustres, nous n’avons pas de racines spirituelles fortes ancrées dans une tradition locale. Tout revient vite vers la religion et, pour plein de raisons, on n’a pas forcément envie d’aller là. Alors c’est compliqué lorsqu’on vit une ouverture spirituelle d’en parler, de partager, d’avancer avec d’autres, car nous sommes des créatures du lien et le partage est essentiel.

Commence donc souvent un chemin fait de stages, de retraites, de lectures, de conférences qui vont du yoga à la mindfulness, du tantra au soufisme, du new age au zen, de la communauté charismatique au néo-chamanisme, par exemple. En deux mots, on participe (et on paie souvent) pour s’entendre dire que tout est en nous et pour ne pas se sentir seul-e avec la force d’une forme de foi qui pointe dans nos vies et dont on ne sait que faire.

Sur ce chemin, comme partout, il a des gens honnêtes qui vont vraiment vous donner les moyens d’avancer vers votre autonomie spirituelle. C’est-à-dire qui vont vous proposer des ressources inspirantes, des discussions saines sans enjeu de pouvoir, des partages qui ne créent pas de dépendance et qui auront avec vous une attitude ouverte, bienveillante, structurante, claire, voire soutenante.

Mais par définition, tout comme le mystère de l’humain est insondable et qu’une vie n’y suffit pas, la nature de l’expérience spirituelle est unique à chacun-e et n’est pas partageable. On peut essayer de parler de sa vie spirituelle, de partager la joie de cet accès, mais ça restera toujours de tentatives, il n’y a pas de recettes, ni de mode d’emploi, c’est à chacun-e de faire le travail.

Donc face à un enseignant spirituel, soit vous revenez rapidement à vous m’aime, soit vous allez entrer dans une relation de dépendance et là ça commence à coincer.  

Toute vie spirituelle est par essence mystérieuse parce qu’elle repose sur une croyance dans “autre chose”. Rien ni personne n’a jamais rapporté aucune preuve “d’autre chose” car la preuve appartient au domaine de la science. La foi, que ce soit dans le karma ou dans l’existence d’un prophète, est essentiellement un acte de croyance. Alors chercher des explications ou des “preuves” de la foi ou d’une expérience supra-normale n’a aucun sens. La foi, relève du domaine de la croyance choisie, du témoignage, du partage d’expériences et c’est déjà énorme. Il faut absolument accepter ça parce que quand on l’accepte, on accepte toute la force de ce qui se passe et on ne cherche plus de validation, de preuve, d’explication, on accepte le mystère de ce qui nous aimante.

Il faut être très clair avec le fait que des personnes spirituelles ancrées, alignées, saines et bienveillantes ne vous culpabilisent jamais, ne vous blessent pas, n’utilisent pas votre bonne volonté pour obtenir des services ou des rapprochements avec vous, ne nient pas ce que vous pensez et ressentez, en un mot, ces personnes vous respectent. 

Donc, dans ce milieu spirituel qui brasse toutes sortes de gens fragiles, alors que vous êtes en train de vivre d’authentiques ouvertures, gardez bien les yeux ouverts parce que c’est ça qui va vous faire avancer : votre regard sur ce qui se passe, c’est ça le guide, vous et votre bon sens.

Car s’il y a des gens bien, il y a les autres, des doux dingues aux manipulateurs de haut vol sévissant dans des sectes bien organisées, des personnes qui vous coupent de tout ou simplement qui vous coupent en deux au détour d’une phrase bien violente dite dans un séminaire de soit-disant bien-être, qui coupent des dialogues du jour au lendemain ou qui vous tranchent le cœur en deux et durablement par l’inhumanité soudaine de leur comportement.

Ces personnes qui mettent en avant leur soit-disant spiritualité par des stages, des conférences, des rencontres ou autres vivent un réel bien-être à voir une salle pleine venue les écouter. Avec l’expérience de vie qui est la mienne, si demain je me pose face à vous et que je commence à pontifier avec de grands sourires, à vous dire que la vraie vie n’est pas ce que vous vivez, à vous faire toutes sortes de promesses d’ailleurs, de réalisation, d’amour et à vous expliquer les mystères avec tout un tas d’explications aussi fumeuses qu’invérifiables, vous allez adorer, mais pour moi la vie spirituelle ce n’est pas ça.

La spiritualité ça n’est pas plus que partager un plat de lentilles sur un coin de table. Un jour, il y en a une qui cuisine, le jour d’après c’est l’autre. On peut se dire des poèmes et des choses sublimes autour de ce plat mais ce plat c’est le réel et il est absolument central.

Vous l’aurez compris, pour moi, la spiritualité se passe au ras des pâquerettes. J’ai tenus dans mes bras des humains, des enfants, des animaux à peine nés, des malades et quelques mourants, et pour moi, la spiritualité est là. Dans le battement de cœur, dans mes fourneaux, dans la poignée de main, dans les aubes, bref, dans tout ce qui vit, avec bienveillance et respect, et certainement pas dans le mental, les personnages construits ni les beaux discours. Et la spiritualité va de pair avec la plus grande bienveillance, forcément. 

Nous sommes tellement déshabitué de l’amour et de la bienveillance que c’est devenu suspect d’être bon, étrange d’être sincère et honnête. La gentillesse est si peu valorisée que très souvent, après un abus, le sincère pense que c’est lui/elle le/la responsable !! C’est fou, non ? 

Si vous abordez quelqu’un qui parle d’éveil et d’esprit toute la journée, il ne peut pas se défausser de son comportement de goujat en disant avec une humilité feinte qu’il n’est pas parfait, ça ne marche pas parce que son business avec vous c’est de vous faire croire que par lui/elle vous avez accès à l’éveil d’une manière ou d’une autre, qu’il vous est “supérieur” d’une manière ou d’une autre, qu’il vit ou a vécu quelque chose que vous ne vivez pas (encore) et qu’à son contact vous allez avoir accès à des réponses, à une compréhension de vous-même, à une intimité particulière. Et ça, dans une grande partie des lieux spirituels, c’est une promesse fréquemment faite qui dégénère en abus.

Les honnêtes se reconnaissent à plusieurs choses, vous allez voir c’est très simple et ça tombe sous le sens :

- 1. Il n’y a pas d’enfumage.  
Si des métaphores sont utilisées pour parler de l’expérience spirituelle, elles sont identifiées comme telles. On vous dit : “ceci est une image, un symbole, un support de réflexion”. On ne vous dit pas : “ceci est la vérité.” Ou : “ce que tu vois n’est pas réel.” Ou encore : “je suis ta création, tout est en toi et si tu souffres c’est de ta faute.” Tout ça, c’est du flan.

-2. Il n’y a pas de gourou.  
Il ne suffit pas de dire “je ne suis pas un gourou” ou “je ne suis pas un enseignant spirituel”, encore faut-il se comporter comme tel : pas d’estrade, pas de relation de fan ou de disciple qui nourrissent le besoin d’adorer comme celui d’être adoré. Dans l’honnêteté, vous êtes sans cesse renvoyé à vous mêmes, à votre propre capacité d’analyse, de guérison, de compréhension.

-3. Il n’y a aucune déconnexion avec la réalité. 
La réalité (avec toutes ses limites, ses peines et ses contraintes) est aimée. Reprendre son pouvoir comme disent les Indiens d’Amérique c’est apprendre à vivre avec sa réalité, à changer son regard sur ce qui se passe et retrouver de la force créative pour faire évoluer certaines choses en soi. C’est ce qui irrigue toute approche spirituelle, tout conseil amical et toute thérapie digne de ce nom.
Vous êtes invités à vous aimer vous et à accepter votre histoire en prenant vos responsabilités mais en aucun cas il ne vous sera recommandé “d’aimer votre souffrance” ou “d’accepter que vous aviez besoin de cette souffrance pour avancer”. Aimer souffrir n’a rien d’une démarche spirituelle et, selon les contextes, dire que vous êtes responsable peut dangereusement renforcer votre sentiment de culpabilité. Si vous êtes abusé-e, vous avez été trompée ou forcée dans un moment de faiblesse, et que ça vous plaise ou non vous êtes une victime et, à moins de preuves montrant une incitation, vous n’êtes pas responsable d’avoir “attiré” ça. Si vous êtes un adulte, vous êtes en revanche entièrement responsable de ce que vous allez faire de cet événement, de la façon dont vous allez le soigner, le dire, ou pas, bref le laisser travailler dans votre histoire ou pas.

-4. Aucun jugement ni commentaire négatif n’est porté sur ce que vit ou a vécu la personne.
Les sommes demandées sont décentes… et ça n’a rien à voir avec votre valeur.
En cas de maladie grave du corps, personne ne se substitue aux médecins. Si des apaisements énergétiques sont faits, ils le sont en lien complémentaire avec des traitements. Il s’agit de faire dialoguer différents pans de nos vies, pas de déclarer que, par exemple, seul l’esprit va vous sauver.

-5. En cas de maladie grave de l’esprit, le cadre thérapeutique encadré est indispensable. Aucune démarche spirituelle ne peut exclure cela.  

Enfin, évidemment, attention à la séduction et aux abus. Il existe un nombre impressionnant d’enseignants spirituels complètement coupés de leurs émotions, qui n’aiment pas les femmes, qui ne parlent d’amour que de manière complètement désincarnée et qui se servent de leur “aura” pour chasser.

Les femmes sont fragiles à leur manière. Nous sommes fragilisées par une très longue histoire d’abus qui est en train de soigner au niveau collectif de manière très forte depuis le mouvement #MeToo et ça n’est que le début car la parole se libère de plus en plus. Nous sommes des millions avoir été abusées, trahies, frappées, trompées, volées, violées, certaines en meurent. Étonnamment cela peut arriver aux hommes aussi de subir de telles violences, même dans les mouvements spirituels. Ce n’est donc pas toujours une question de sexe, même si les femmes sont beaucoup plus touchées mais les hommes ne doivent pas être oubliés.
N’importe qui peut être concerné par un abus et ce, quelle que soit la classe sociale. Nous avons derrière nous de longues histoires d’abus et nous entrons dans la spiritualité avec ce bagage-là. Nous pouvons être des femmes très fortes par ailleurs mais sur ce point-là, nous sommes fragiles et quand nous entrons dans un mouvement spirituel quel qu’il soit, nous y entrons aussi avec ça.

Et là, attention les yeux ! Attention les mots ! Hauts les cœurs !

Nous, femmes (et hommes parfois), nous allons enfin pouvoir tout donner, nous allons enfin pouvoir laisser vivre cet immense amour qui nous traverse depuis toutes petites et qui n’a jamais été compris, perçu, vu pour ce qu’il est : l’essence de notre humanité. Et là, si la rencontre se fait avec un chasseur, il va se régaler de se nourrir de tout cet amour qu’il va détourner à ses fins. Nous ne le percevons pas tout de suite, nous avons tellement envie d’y croire, n’est-ce pas ?

Parce qu’aimer est notre ADN d’humains et que enfin, grâce, ou à cause de cette étape spirituelle, nous acceptons de faire de la place à l’Amour dans nos vies. Avec un grand A parce qu’on vibre fort. Mais très vite, nous pouvons nous mélanger les pinceaux en croyant qu’il s’agit d’aimer quelqu’un. Et cette confusion se produit parce que notre culture nous farcit la tête de récits qui donnent une forme à cette immense force d’amour en nous (la forme du mariage, du sacrifice, du sexe ou de la mystique). Alors quand la vie nous place dans une intensité que l’on qualifie de “spirituelle”, nous ne savons pas comment la vivre. 

C’est notre mental et notre culture qui décortiquent et acceptent ces étiquettes mais en réalité, il ne s’agit que de vivre et de se réveiller à une vie libre et déconditionnée.

Avant, on dormait. Maintenant, on vit et il faut prendre soin de ce que l’on vit, de toutes nos découvertes. Mais on a si peu l’habitude de vivre à fond dans l’équilibre et la bienveillance qu’on cherche la validation à l’extérieur et c’est pour ça qu’on va voir des “maîtres spirituels” auto-proclamés, ou pas, ou qui se présentent avec plus de subtilité. Généralement, ce sont des moments où l’on se sent très seul-e, où il y a une fragilité, un désir d’un monde meilleur, d’une certaine innocence, une fatigue aussi souvent. Et on entre alors dans une zone grise d’immense amour sincère d’un côté et feint de l’autre, un rapport de pouvoir et de déni. Jusqu’au réveil, jusqu’à ce qu’on soit jeté par le gourou ou qu’un événement nous sorte de ça.

Un jour, on voit l’abus. On passe alors par toute une palette : tristesse, sentiment de souillure, de trahison, de honte, d’abattement, d’incompréhension, de colère, de dégoût… Cet abus de confiance n’est pas “rien”, ce n’est pas “juste” s’éloigner ou être éloigné(e), supporter ou ne pas supporter une rupture. Une rupture menée par quelqu’un de sain fait mal, évidemment, mais il n’y a pas d’arnaque, la dynamique reste claire. Quand le scénario est écrit d’avance, que tu comprends que tu n’es qu’un nom sur une longue liste d’abusés ayant vécu les mêmes choses, que tu as travaillé gratuitement, que tu as donné de ton temps, que tu as partagé ta vie, ton intimité et parfois même ton corps en confiance avec un “maître” en réalité complètement handicapé émotionnellement et qui t’a fait croire à un socle affectif pour obtenir ces choses de toi, c’est une arnaque. 

Bien sûr, et heureusement, la vie est plus forte que nous et, tout doucement, à petits pas, ce qu’on s’est laissé prendre dans l’abus spirituel se remet en place, se reconstruit, et on avance. 

Mais tout ça aurait pu être évité ! On n’a pas besoin de ça pour avancer, ce n’est pas vrai. Personne n’a besoin de souffrir pour avancer, ça aussi faut arrêter !! Tant de peines pourraient être évitées en parlant, en partageant les expériences, en étant capable d’identifier rapidement ce qui est sain de ce qui ne l’est pas. Alors si vous aussi vous avez vécu ça, parlez-en, partagez votre histoire dans les commentaires ou ailleurs mais ne gardez pas ça pour vous parce que c’est pas banal, ça ne doit plus l’être. 

Gardez les yeux ouverts, faites-vous confiance, écoutez ceux et celles qui vous aiment avec constance depuis longtemps quand ils vous disent “je ne sens pas cette personne”, acceptez la contradiction, acceptez que vous êtes en train de faire un détour inutile et que vous n’avez besoin de personne pour valider que vous êtes super, bienveillant-e, humain-e, sincère, revenez dans la cuisine de votre belle réalité et arrêtez de perdre du temps à vous occuper de personnes qui se fichent complètement de votre bien-être et de votre chemin. Vous pouvez le faire !