Je voudrais parler de graines

De Eva Wissenz, 9. janvier 2016

 

En 2014, j’ai connu la joie immense de publier la traduction française de l’essai de Janisse Ray sur les semences, "Ceux qui sèment - Graines de résistance". Et ce fut une joie immense parce qu’étaient réunies autour de ce micro-événement l’ensemble de mes passions : le jardin, les livres, le papier donné par les arbres, l’amitié de Jennifer Darlymple qui assurait la traduction ainsi que celle de tous les souscripteurs, parrains et marraines du projet, la créativité d’Anne Steinlein, la circulation d’idées vitalisantes, le partage de différentes énergies qui, combinées, relèvent du miracle si l’on y pense. A la parution, les souscripteurs furent remercié avec un joli sachet de graines patiemment préparé par Flora.

L’édition de ce livre clef pour bien comprendre la prédation à l’œuvre sur notre alimentation et les actions à réaliser pour inverser la tendance, l’édition de ce livre donc fut une réalisation pleine et ce d’autant plus que l’intention des éditions Seepia est : des mots pour semer la vie... dans nos imaginaires.

"Le récit n’a pas le pouvoir d’empêcher ce qui est advenu, mais il peut transformer ce qui adviendra. C’est cela, le pouvoir de la narration : lorsqu’elle est écoutée, chacun se l’approprie, et elle agira sur ce qui n’est pas encore arrivé. Tout récit possède cette marge d’indétermination, qui réside dans la conscience de celui qui l’écoute. Écouter un récit et le sentir sien, c’est recevoir une formule magique pour réparer le monde. Pour moi, un récit est semblable à ce qu’est un virus pour un chercheur : il peut devenir une forme contagieuse qui, en transformant les êtres, transforme le monde lui-même." Robert Saviano

L’intuition que les mots devaient être considérés comme autant de graines plantées par nos esprits m’est venue il y a longtemps, au moment où je me lançais dans l’écriture des Enfants du siècle. Soudain, l’esprit humain m’est apparu comme une immense friche joyeuse d’enfance transformée petit à petit en plaine de la Bauce, en hectares de monocultures, en pinèdes, en jungle, en coquet jardin de curé ou en jardin forestier selon le parcours de chacun-e.

Tu peux décider un jour que cet environnement mental ne te convient plus, voir qui a planté telle graine et pourquoi, tout couper, ou vouloir tout couper. Tout changement en ce monde passe par ce moment d’interrogation de nos croyances et par un ardent désir de renommer, redéfinir car on étouffe d’un coup dans tous ces mots usés par tant de définitions fausses et d’usages abusifs. La tache semble herculéenne. Mais la grandeur se tient dans le minuscule : entrer dans l’extraordinaire puissance d’une simple graine.

Ce qu’elle contient, au départ tu n’en n’as qu’une vague idée. Elle est belle, brillante, colorée, fascinante, fermée. Tu la plantes. Tu l’arroses d’eau, de joie, d’amour. Elle germe. Elle pousse. Elle donne fruit, fleurs, feuilles. Du début à la fin, tu n’as rien fait d’autre qu’accompagner. Comme avec les enfants. Comme avec toute création en fait. En plantant des graines, tu te places en amont de tout : de ta compréhension, de ton analyse, de ton observation même, tu te places dans la confiance.

En créant Seepia en 2012, mon intention était donc de proposer des textes vivants comme autant de graines sur les chemins de l’imaginaire. Comme l’a dit un lecteur à propos de Une fin d’automne, il s’agit d’une : "littérature vivante qui se bat, qui cogne, qui blesse parfois mais guérit plus souvent. Tout simplement parce que la vie et l’honnêteté s’y engouffrent." Donc pas juste un roman positif ou un titre de développement personnel au milieu d’un catalogue de distractions. Non. Un catalogue vivant et cohérent, comme un catalogue de semences... Avec les risques que cela comporte - et ils ont été - et sont - nombreux.

La graine de joie dont je parlais avec "Ceux qui sèment - Graines de résistance" a poussé et donné vie à d’autres. Le projet des Changeurs de monde qui avance et paraîtra cette année, la parution de deux merveilles pour nos imaginaires, Terra Incognita et Le Conte du Vent, des lecteurs touchés par les textes, revivifiés par ces contenus sincères, cohérents, à l’essentiel, tous ces livres lus pour rien d’autre que pour le bonheur de faire circuler la vie, la joie, le désir de nous rappeler à ce qui compte vraiment.

C’est une graine de gratitude. Merci à tous de vos lectures.