Sur la terre comme au ciel

De Eva Wissenz, 23. octobre 2016

 

"L’Enseigneur lui avait appris à regarder le vent, "on ne sait ni d’où il vient, ni où il va." Elle regardait, de longues heures durant, la cime des arbres et l’air en mouvement qui les faisait ondoyer ; mouvement imperceptible, intouchable et pourtant tellement sensible, non seulement dans sa chevelure, mais sa peau, quand le mistral y imprimait à coup de fouet un hiver impitoyable.
Elle regardait le vent, et le vent était aussi à l’intérieur, c’était le même mouvement qui animait les feuilles des arbres et soulevait ses bronches ; regarder le vent au-dedans ou au-dehors, c’était regarder la Vie invisible qui fait vivre tout ce qui respire.
"L’âme du monde" n’était pas pour elle une idée, mais ce Souffle qu’elle observait chaque jour davantage entre les arbres, dans la poitrine haletante des loups et des sangliers, mais aussi sous les plumes de l’oiseau... parfois jusque dans la sève des mousses. Le mouvement de la vie qui se donne, elle le respirait à pleins poumons, c’était sa nourriture essentielle.
Quand elle ne faisait qu’un avec la respiration de la Vie, toutes peurs lui étaient enlevées. Cette "connaissance par le Souffle" la rendait fraternelle avec tous les êtres ; elle aurait pu parler de "sa soeur l’eau", de "son frère le soleil", de ses amies les bêtes sauvages et les plantes salutaires...
Ne faire qu’un dans son souffle avec la respiration de la Vie, n’est-ce pas entrer en communion avec tout ce qui vit et respire, avec Elle, en Elle ?
Cette attention au vent, au souffle, à la respiration de la Vie l’aidait à s’approcher de la conscience dans laquelle avait vécu Yéshoua.
Elle se posait souvent la question : comment Yeshoua voyait-il les hommes, les plantes, les animaux et tout ce que nous appelons la vie, le bonheur, la souffrance, le plaisir, la maladie, la mort...?

Enfant, elle se demandait : "Comment les abeilles, les chevaux voient-ils le monde ? Qui suis-je dans l’oeil du crapaud ou de la taupe ?" Cela l’avait conduite à relativiser son "point de vue", sa façon de voir. Ce qu’elle voyait, ce n’était évidemment jamais la réalité, mais toujours son point de vue, sa "façon" de voir. Pourquoi les hommes imposent-ils leur point de vue, leur façon de voir comme si c’était la réalité ? Le monde dans lequel vit le cheval ou la fourmi n’est-il pas le même monde, et pourtant c’est un autre ?
Le monde dans lequel vivait Jésus était-il le même monde que celui dans lequel elle vivait ou était-ce un autre ? "Je suis dans ce monde et pas de ce monde", disait-il...
C’est cela qu’elle aurait aimé connaître, partager : le regard, le point de vue, la vision de Yeshoua sur le monde. Sa façon de se représenter l’autre, le Tout Autre, le plus proche et le plus lointain, sa façon de mettre en image le monde qui l’environnait, sa façon de "l’imaginer" tel qu’il est.
Chacun vit dans son monde, c’est-à-dire chacun vit dans son imagination, dans sa façon de se représenter, de mettre en image le monde."

in J.-Y. Leloup, Marie Madeleine à la Sainte-Baume.