Un jour, on naît, tout petit et fragile, voire minuscule

De Hélaine Charbonnier Teljesseg, 27. septembre 2018

 



Un jour, on naît, tout petit et fragile, voire minuscule et cependant conscient. Oui, car qui n’a pas été saisi par le regard profond, intensément puissant et en un mot averti d’un enfant nouvellement débarqué dans le monde ?

Et puis, par glissements progressifs, voilà que jour après jour nous passons de cette conscience absolue à un oubli tout aussi absolu.

Un trou béant. Une omission totale de ce que nous sommes. De notre grandeur et de notre pouvoir.

Un jour on naît, donc, avant que de grandir avec cette amnésie, cette lacune. Et de se construire avec. Et de la faire sienne, jusqu’à n’être plus que cet oubli. Cette béance. Et de s’imaginer n’être rien d’autre qu’un petit homme sans envergure, une femme effacée ou souffrante, tout aussi égarés l’un que l’autre sur une planète trop grande dans un univers inconcevable par sa démesure ; à la fois gigantesque et insensé.

Ainsi suis-je née, un jour de début d’automne. Et ainsi me suis je perdue. Et ainsi ai-je pu laisser croître en moi le désir puissant de retrouver ma mémoire d’origine et ma vérité.

Car plus je me perdais et plus grandissait ce désir jusqu’à ce qu’il devienne ma priorité, tant il est vrai que c’est là la seule véritable raison qui peut nous faire choisir l’exil.

Oui, nous naissons, puis nous cédons la place. Et nous revenons encore. Et nous repartons avant que de renaître encore en un cycle qui peut être ininterrompu. Mais c’est pourtant aussi et surtout au cœur même de cette vie qui n’est rien d’autre que passage, que nous sommes amenés à faire pour de bon l’expérience de cette mort qu’est l’oubli et de cette naissance qui est reconnexion à Soi.

Or, c’est une vraie beauté que cette « négligence » car elle anticipe la Joie à revenir et le bonheur plénier que l’on peut éprouver à passer de n’être rien à re-naître. Et de quel courage formidable témoigne ce choix d’oubli de notre vastitude que l’on peut vouloir faire, nous humains, vagabonds des étoiles…

Ainsi peut-on renaître au cours d’une même vie. Une fois. Deux fois. Dix fois. Cent fois. Et cela aussi longtemps que cela s’avère nécessaire pour que revienne s’installer en nous cette conscience-là et que la vie puisse venir nous investir vraiment.

Quelquefois, un accident précipitera la renaissance. Un évènement douloureux. Un deuil, qui dira que nous mourrons à l’oubli. D’autres fois la mort sera juste symbolique. Mais il n’existe pas de règles susceptibles de nous aider à l’expérimenter, le seul désir de Joie pouvant suffire à nous y pousser.

Pourtant, de plus en plus nombreux sont ceux qui s’incarnent en se livrant sans délai à ce désir là. De plus en plus nombreux sont ceux qui ne font pas le choix préalable de s’oublier et qui conséquemment ne connaîtront pas la nécessité de se retrouver. Pour eux, la beauté ne passera pas par cet effacement de ce qui fait notre nature et tels sont nos chemins de vie : aussi différents que magnifiques.



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